Je voudrais rebondir (in French) sur les propos d’Edwy Plenel, que je n’apprécie que très modérément et que j’ai entendu un peu plus tôt dans l’émission “on refait le monde” sur RTL. Ceci devrait me permettre de contribuer modestement à la critique assassine de la presse entamée par Jules sur Diner’s room (un grand moment…), Maître Eolas ou Versac. Le personnage m’avait déjà passablement irrité il y a de cela 1 mois (“Le storytelling, du marketing á la politique” dans l’emission “de la suite dans les idées”, diffusée le 16/10/2007) quand il s’était aventuré sur le thème du Storytelling sur France Culture qui l’avait invité à débattre (enfin, c’est un bien grand mot) avec Christian Simon, euh, Salmon (merci Emmanuel!) autours de son nouveau livre, Storytelling : une machine à fabriquer des histoires et formater les esprits. L’émission s’est vite transformée en un joyeux mais sommaire étalage de poncifs anti-américain/ anti-bush/ anti-sarkozy/ anti-capitaliste/anti-marketing et donc anti-storytelling étayés sans originalité par Plenel et un arsenal marxiste light réchauffé sans saveur ni rigueur. Au final l’auditeur n’avait rien appris du phénomène du storytelling, de ses causes ni des raisons de son efficacité. Mais tout cela lui semblerait très vilain, grâce á quelques généralités bien senties (la raison, la démocratie vs le conservatisme et le profit. Bla-bla-bla). Bref, c’est toujours ça de gagné. Pourtant certains se souviendront, que du marxisme appelé á la rescousse par Plenel, Nietzsche dénonçait justement le caractère fabuleux. Critique qui sera reprise de manière dévastatrice et approfondie par Cornélius Castoriadis lorsqu’il évoquera la “superstition” des partis communistes, persuadés de détenir avec le marxisme une science infaillible capable d’expliquer l’Histoire. Tout ça Plenel le sait évidement mais il préfère raconter – quelle ironie ! – une belle histoire, simple et facile á comprendre, aux auditeurs de France Culture. Belle preuve de respect et d’honnêteté intellectuelle ! Une narration qu’on peut facilement déconstruire grâce á Greimas et á son schéma actanciel, avec un opposant (l’Amerique/le capitalisme/les entreprises), un héro (nous, les Gaulois, descendant de Voltaire et de Descartes), des adjuvants (la Raison, les Lumiéres, nos intellectuels-journalistes éclairés). Et voilá l’arroseur arrosé; le serpent qui se mord la queue.
Il me faudra prochainement prendre le temps de revenir en détail sur ce thème qui me tient très à coeur pour pointer l’hypocrisie de M. Salmon et des média français dans le traitement de ce sujet émergeant, bien plus profond qu’il n’y parait. La morale pouvant être qu’il faut, comme le faisait remarquer Versac sur un autre thème, toujours s’attacher á la pratique, au lieu de distribuer nonchalamment des opinions sentencieuses pas franchement informées, depuis les hauteurs confortables de son prétendu savoir.
Mais j’en reviens pour le moment á Edwy Plenel sur RTL. Celui-ci, parce qu’il lui restait 30 sec avant la cloche de 20h, entendait saluer l’effort de la presse belge (je me demande s’il ne parlait pas plutôt de la wallonne, uniquement) afin de maintenir ensemble un Etat-Nation bien singulier, la Belgique, qui rassemble des communautés à la langue et à la culture profondément différentes. Passons gentiment sur la foi inébranlable du journaliste selon laquelle la presse serait capable, seule contre vents et marées de sauver un pays (sic). Et M. Plenel, de nous expliquer doctement que sans la Belgique, l’Europe ne serait plus qu’un triste club d'”identités pures”. On se demande bien ce qu’il entend par lá. On voudrait qu’il prenne le temps de nous définir un peu ce qu’est une identité et encore plus une identité pure. Il est quand même assez navrant de voir un journaliste cultivé qui a volontiers, depuis le piédestal que lui conférait son précédent titre, tapé sur le Front National et Jean-Marie Le Pen et ses idées nauséabondes s’en remettre au même outillage conceptuel. Et voilà que M. Plenel, sans s’en rendre compte, nous agite en l’empruntant á son triste ennemi, le spectre de l’identité pure qui ne veut rien dire, n’existe pas si ce n’est que comme fantasme unique mais aux deux visages: pour l’un devant être préservé religieusement, pour l’autre comme épouvantail qu’il faudrait combattre au nom de la marche de l’histoire et du progrès humain. Ces deux visions relèvent d’une illusion historique et anthropologique assez semblable finalement. L’une s’enracine dans le passé pendant que l’autre rêve du futur. Le problème étant que les deux sont pour le moins mythiques: l’identité n’est jamais pure, elle n’existe que comme relation, comme synthèse improbable et instable, faite de contradiction et d’assemblages boiteux en devenir et faire de n’importe quel autre pays d’Europe un monolithe culturel et tout de même un peu fort de café. Le problème d’un tel raisonnement, en plus de son caractère apocryphe, c’est qu’il sert de justification à une volonté normative qui réifie et qui échappe au contrôle des premiers concernés : les Belges eux-mêmes. Sous prétexte d´éviter quelque chose qui n’existe pas, si ce n’est comme discours mythique á connotation très péjorative (“l’identité pure”), Plenel croit pouvoir légitimement refuser la réalité sociale, qui prend la forme du processus actuellement à l’oeuvre par lequel l’identité de la Belgique est négociée.
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